Un numéro spécial de la revue Behavior Therapy se penche sur l’écart grandissant entre la théorie et la pratique des TCC. Poussés par l’evidenced-based et la volonté -louable- de recourir à des démarches thérapeutiques efficaces, certains en oublient parfois la force des TCC, à savoir une interaction constante entre la clinique et la recherche fondamentale.
De fait, les cliniciens veulent acquérir des techniques, afin d’aider au mieux leurs patients. Mais comme le temps dont chacun dispose pour développer ses connaissances et ses compétences n’est pas extensible, l’acquisition des techniques se fait au détriment de l’acquisition des connaissances fondamentales. L’important serait alors de disposer d’un ensemble d’outils efficaces, et de savoir piocher dedans, en fonction de la méthode qui a prouvé son efficacité pour le problème auquel on est confronté. Quel mal à cela? A priori, aucun. A condition, bien sur, que les patients que nous avons à prendre en charge présentent des difficultés suffisamment ressemblantes, qu’il n’y ait pas de cas particuliers ou complexes. Sauf que….
Tous les thérapeutes constatent des différences importantes entre les difficultés que rencontrent les patients. Les cas particuliers ne constituent pas l’exception, mais la règle. Les techniques acquises en formation doivent obligatoirement être adaptées, ajustées à chaque patient. Pour ce faire, il est nécessaire que la pratique du clinicien soit cohérente avec la théorie, donc qu’il la connaisse, afin d’être autonome dans la meilleure adaptation possible des techniques.
C’est le point de vue défendu par Reese et al. dans leur commentaire du numéro spécial de Behavior Therapy, comme celui de plusieurs auteurs ayant contribué à ce numéro. La connaissance de la théorie qui sous-tend une technique clinique permet au thérapeute d’améliorer sa façon de conceptualiser les difficultés de ses patients, et in fine, d’augmenter l’efficacité de ses prises en charge. Connaître la théorie permet d’être plus créatif, mieux armé, notamment en présence de “comorbidités” (c’est à dire, très très souvent…).
A l’inverse, Reese et al. soulignent les risques à appliquer une technique thérapeutique sans connaître les arguments théoriques sur lesquels elle s’appuie. En appliquant une méthode comme une recette toute faite, il y a à l’évidence un risque d’erreurs, car on prête moins attention à l’utilité de cette technique pour le patient à qui on la propose. De plus, il existe un risque important de réification de la technique lorsqu’on n’en connait pas les fondements théoriques. Quand la technique est appliquée pour elle-même, sans lien avec les concepts dont elle découle, on est davantage porté à croire qu’elle doit être appliquée d’une unique façon, en s’interdisant toute adaptation.
Il est nécessaire que les cliniciens disposent de connaissances théoriques solides, afin qu’ils soient les plus autonomes et les plus efficaces possibles. La différence entre un clinicien et un chercheur ne devrait pas reposer sur leurs connaissances respectives, mais sur leur pratique quotidienne: chacun devrait globalement disposer des mêmes connaissances cliniques et fondamentales, certains choisissant de les développer et de les appliquer au travers de la clinique, d’autres au travers de la recherche fondamentale.
Le champ des TCC commence à prendre conscience de la nécessité de former les cliniciens aux modèles théoriques des TCC. Des initiatives sont prises en ce sens par l’Association for Behavioral and Cognitive Therapies (ABCT), qui recommande un cursus spécifique mettant l’accent sur la théorie, comme condition d’accès au titre de psychothérapeute. Charge aussi à chaque clinicien de développer ses connaissances théoriques afin d’améliorer ses compétences cliniques.
Source: Reese, H. E., Rosenfield, E., & Wilhelm, S. (2013). Reflections on the Theory-Practice Gap in Cognitive Behavior Therapy. Behavior Therapy.
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